Ce colloque était organisé par le réseau memorha le 24 octobre 2012

Les participants venus de tout Rhone-Alpes ont assisté à des interventions multiples/ Retenons pour la Haute-Savoie, Gil Emprin qui présenta l'historiographie pour notre département et l'intervention de Jeanne Brousse et de sa co-auteur. Les autres intervenants parlèrent sur des généralités qui ne passionnèrent pas les foules. Et notamment en finale, lorsqu'une trop intervention sur un livre que quelques "érudits" avaient lu, puis un débat sur ce sujet, beaucoup d'auditeurs décrochèrent pensant à juste raison qu'ion était out off the sujet!!!

Vous trouverez ci-dessous quelques éléments qui marquèrent mon intervention.

La mise en récit de l’Histoire de la Haute-Savoie 1939-1945

Au début des années 80, lorsque j’ai voulu découvrir ce qu’avait été l’histoire de la Haute-Savoie durant la dernière guerre mondiale, je me suis aperçu qu’il n’y avait pas de travaux consistants sur le sujet. On ne trouvait que des brochures ou petits ouvrages de témoignages à faibles tirages, l’ouvrage témoignages sur les Glières et un livre publié par les anciens F.T.P. D’autre depuis la fin des années 50, la mémoire semble endormie. Témoins de la guerre et politiques en sont les principaux responsables. Je me suis dit alors qu’il y avait un travail important à faire tout à la fois pour rechercher les informations et raviver la mémoire dans notre département.

J’ai commencé à enregistré le plus grand nombre possible de résistants et de déportés. Cette mémoire auditive, si furtive, ne devait pas s’enfuir avec la disparition des acteurs de cette période. Cela m’est apparu comme le plus urgent. Et combien j’ai eu raison. J’ai ainsi réalisé plus de 200 heures d’enregistrements de ces acteurs. La plupart sont aujourd’hui décédés. Les témoins sont d’autant plus précieux, que non seulement ils sont éphémères, mais aussi que la documentation papier mise à disposition à cette époque était « faible ». N’oublions pas que la Résistance est affaire clandestine. D’autre part jusque dans les années 80 la plupart des archives sont encore fermées, même si elles commencent à s’ouvrir doucement (dérogations). J’ai donc en même temps collecté de très nombreuses photographies et autres témoignages écrits, constituant ainsi une banque de données vitale pour la pérennisation de la mémoire des acteurs de la guerre.

Ensuite est venue la seconde phase : l’écriture.

Pourquoi écrire ? Pour porter à la connaissance du grand public ces témoignages. Il est en effet fondamental que le travail de mémoire soit précédé du travail de connaissance. Mettre à la portée de tous ces témoignages, les rendre accessibles en retraçant au mieux l’époque m’entraîna tout naturellement à écrire la grande chronique de la Haute-Savoie 1939-1945 (4 volumes). Ces livres ont fait réagir les « Anciens » qui, pour leur très grande majorité, m’ont très vivement remercié, mais aussi les jeunes générations avides de connaître ce qui s’était passé : démêler le vrai du faux, le réel des légendes ou les on dit, «ma grand-mère disait.. . », … Cela ne fut pas simple et il fallut sérieusement « travailler », c'est-à-dire recouper, contrôler et vérifier les témoignages.

Je dois dire qu’entre 1945 et 1980, les livres qui avaient été écrits par des « historiens » ne reflétaient pas la réalité, selon les acteurs de cette époque. Partant de leurs témoignages, j’ai pu aller vers la réalité, (je n’ai pas dit, ni écrit « leur vérité ») et m’en approcher au plus près. Les résistants et les déportés étaient très réticents pour me parler lors de mes premiers travaux, mais au fil du temps et des publications, ils ont compris qu’ils pouvaient et devaient me parler, témoigner pour les générations futures, à commencer par leur petits enfants. Ils m’ont fait confiance ce qui pour moi est grand honneur. Nombreux sont devenus mes amis, sans pour autant altérer mon jugement.

Il m’est également apparu qu’il fallait ensuite travailler sur le plan thématique, car des sujets cruciaux avaient un grand besoin d’approfondissement ; ainsi sont sortis « Glières mars 1944 » et « Histoire de la Milice » notamment, mais aussi des ouvrages plus modestes sur la libération par exemple.

J’ai voulu ensuite, toujours dans ce souci de bâtir ou d’aider à bâtir la mémoire collective sur ce sujet, écrire deux mémoriaux l’un sur la Déportation et l’autre sur tous les morts de Haute-Savoie (2260 biographies) pour rendre hommage à tous ces résistants et déportés, pour fixer leur souvenir dans la mémoire de notre peuple. Je dois dire que j’ai toujours eu le souci d’écrire pour le grand public (que mes amis universitaires ne m’en veuillent point) et avec l’arrière pensée permanente que ces écrits pourraient servir (et ils servent) aux élèves qui font le Concours scolaire national de la Résistance et de la Déportation.

J’ai toujours voulu ajouter mes pierres au mur qu’il est nécessaire d’édifier contre le révisionnisme. Si c’est cela être engagé, alors je suis engagé !

Toujours en ce qui concerne les productions écrites, il apparaît possible, qu’après près de 30 ans de mise en récit, on puisse livrer les témoignages bruts au grand public. C’est ce que j’ai commencé à faire avec « Derrière les miradors ». En 2013 sortira « Paroles oubliées », mais cela n’empêche pas que la mise en récit, en ciblant le mieux possible les lecteurs, doit se poursuivre.

Très vite, parallèlement à toutes ces productions, toujours avec les mêmes objectifs liés au travail de connaissance pour assurer le travail de mémoire, j’ai multiplié les rencontres au niveau des scolaires, grâce notamment au Souvenir Français, mais aussi au Concours noté ci-dessus. Le travail au niveau des scolaires permet de mettre en place des fondements de notre mémoire collective. Je peux le constater constamment auprès de mes anciens élèves (travail que j’ai fait avec eux durant 38 ans). Je multiplie, toujours bénévolement (c’est un principe), les conférences sur le sujet.

Il n’y a rien de pire pour la mémoire collective d’une Nation que l’oubli. Je ne sais plus qui a écrit : « Ne laissons pas la poussière grise de l’oubli recouvrir les tombes de nos martyrs », mais j’y souscris.

Les moyens technologiques modernes m’on amené encore à participer activement à de nombreuses réalisations de vidéos pour la télévision et de films pour le grand écran. A la demande de Monsieur Serge Ravanel, Compagnon de la Libération, aujourd’hui décédé, j’ai lancé la réalisation d’un Cdrom sur l’Histoire de la Haute-Savoie et ce travail fut une très grande réussite de par le fait que toutes les tendances de la Résistance, de la Déportation, religieuses ou politique étaient autour de la table. L’aide, au départ de MM Paquetet et Golliet, puis du Conseil général de la Haute-Savoie me fut très précieuse.

Enfin, j’ai été acteur, jouant mon propre rôle d’enseignant, d’un film intitulé « La Leçon d’histoire » et qui donne la parole à 5 déportés.

En 1994, j’ai réaménagé une partie du musée de Morette (notamment les salles du rez-de-chaussée) afin d’améliorer l’information ; j’ai assuré de nombreuses visites et j’ai adhéré avec enthousiasme à l’Association des Glières, avec toujours le même objectif en tête : multiplier les moyens à mettre en œuvre pour activer en permanence notre mémoire collective. En 1998, j’ai créé la section territoriale 74 des Amis de la Fondation de la Mémoire de la Déportation : toujours les mêmes visées et je poursuis mon engagement dans ces deux associations aujourd’hui.

J’ai ouvert en 2002 un blog « Mémoire 74 » pour informer sur tout ce qui se passe au niveau des cérémonies, des publications sur la Seconde guerre mondiale dans ce département. Je poursuis ensuite en demandant avec insistance la création d’un centre de documentation et d’informations sur la Seconde guerre mondiale destiné au grand public et aux scolaires. (Ce centre recevra la documentation que tous ceux intéressés voudront bien y verser dans le respect de nos systèmes d’archives). C’est aujourd’hui chose réalisée grâce au Conseil général de la Haute-Savoie. Qu’il soit ainsi remercié et avec lui le Service mémoire et citoyenneté

Alors pourquoi maintenir active cette mémoire ? J’avais écrit il y a quelques années :

« L’engagement que j’ai pris en 1983 d’écrire l’histoire de la Haute-Savoie durant la Dernière guerre mondiale s’est bien vite renforcé d’un engagement politique et philosophique. Il m’est apparu très rapidement que le devoir et le travail de mémoire étaient de plus en plus nécessaires tant pour nos jeunes que pour l’ensemble de notre société. Tout en rendant hommage aux Anciens, en travaillant auprès des jeunes scolaire ou non, j’ai toujours voulu utiliser l’Histoire comme un outil pédagogique au service des droits de l’Homme et du Citoyen et des vraies valeurs de notre démocratie, toutes choses qu’il faut défendre constamment. Pour moi, l’Histoire doit servir et être utilisée, au delà de la mémoire, outil de cohésion de notre Nation, comme une leçon d’éducation civique qui doit permettre cette cohésion, ces mises en valeurs de toutes ces notions ainsi que la rencontre entre les générations. »

Cela est plus que jamais d’actualité, car ce que je prévoyais depuis plus de vingt ans se concrétise malheureusement de plus en plus. Le révisionnisme, mouvement qui consiste à réécrire l’Histoire à des fins personnelles, religieuses ou politiques, prend et prendra de plus en plus d’importance dans notre pays, comme ailleurs, si l’on n’y prend pas garde. Il nous faut rester vigilent. Certes notre Histoire n’est pas figée, mais gare aux dérives stériles et polémistes comme j’ai pu le voir cette année écoulée.

« Une Nation sans mémoire est une Nation sans âme et une Nation sans âme est condamnée à disparaître ». J’écris cette phrase depuis 30 ans et tout tourne autour d’elle. La montée des extrémismes, le fascisme, la xénophobie, l’intolérance, l’antisémitisme, sont autant d’idées contre lesquelles se sont battu résistants et déportés. Suivons leur exemple, cela ne pourra que nous grandir… et nous permettra de rester debout. En tout cas, en ce qui me concerne je poursuivrai ce travail de mémoire jusqu’à mon dernier souffle.

La Seconde guerre mondiale : regards croisés sur les mises en récits

24 octobre 2012.

On parle, depuis quelques années, avec juste raison, du devoir de mémoire, voire du travail de mémoire, surtout à propos de la Seconde guerre mondiale. (La problématique se posera dans quelques années pour la Guerre d’Algérie). Mais ce devoir ne peut exister qu’avec en amont le « devoir de connaissance ». En effet on ne peut se souvenir de ce que l’on ne connait pas.

Le travail de connaissance est, par conséquent, primordial. Il s’agit d’acquérir la connaissance tout à la fois des événements de ces années de guerre mais aussi des valeurs fondamentales qu’ils ont véhiculées au sein de la Résistance, voire de la Déportation.

Pour ce faire, les passeurs de mémoire que nous sommes ont de nombreux outils :

-Tout d’abord les témoignages écrits ou filmés de celles et ceux qui vont vécu ces événements et porter hautes ces valeurs, dont nous reparlerons plus loin.

-Ensuite de très nombreux livres ont été et sont encore produits sur le sujet. Jamais dans l’histoire de l’Humanité, un événement a suscité autant d’ouvrages. Il faut faire le distinguo entre les ouvrages témoignages, écrits par les acteurs de cette période et les ouvrages d’historiens parus par la suite. Dans tous ces derniers ouvrages, il faut être capable d’un tri, car tout n’est pas bon à prendre.

- Les films ou les documentaires. Il est clair que des films comme Nuit et Brouillard, d’Alain Resnais, L’armée des ombres, de Jean Pierre Melleville ou même Lucie Aubrac, de Claude Berri ou Milice film noir film d’Alain Ferrari entièrement consacré à la Haute-Savoie, sont d’excellent outils pour apprendre ou commencer à apprendre. Quant aux documentaires, nous avons la chance dans notre département d’en avoir de nombreux, comme ceux émanant des travaux de Denis Chegaray.

- Les chansons et je pense, bien sûr, b à Jean Ferrat.

- Les expositions itinérantes, comme celles pour la Haute-Savoie que possède l’ODAC ou celle de Lucien Colonel sur la Déportation.

- Le Concours scolaire national de la Résistance et de la Déportation qui entraîne une information « intensive » dans les établissements scolaires du second degré.

-Les conférences, qui autrefois pouvaient être faites par les « Anciens » et qui aujourd’hui sont relayés par des passeurs de mémoire.

- Les musées consacrés à la Seconde guerre mondiale et en Haute-Savoie nous en possédons deux : un à Morette près de la nécropole nationale (musée de la Résistance et de la déportation), l’autre à Bonneville, tous deux gérés par le Conseil général de la Haute-Savoie.

- Les plaques, les stèles et les monuments implantés dans tout le pays. Là une évolution est nécessaire : tous ces rappels de la Mémoire mis en place dans les années 45/50 ne parlent presque plus aux jeunes générations, d’où la nécessité de multiplier les panneaux ou les stèles explicatives, comme ce fut le cas dans le square du souvenir de Saint-François à Annecy, à Vieugy (Seynod), ou pour le Plateau des Glières… Il reste, dans ce domaine, encore beaucoup à faire.

- Et lorsqu’en plus nous avons la chance d’avoir un Service Mémoire et Citoyenneté et un Centre de documentation et d’information sur la Seconde guerre mondiale, nous avons là tous les outils pour permettre cette acquisition de connaissances primordiale et précédemment au devoir de mémoire. Il va de soit que ce travail de connaissance est permanent et sans fin puisque renouvelé à chaque génération, c'est-à-dire chaque année. Il faut également l’adapter au public visé.

Ce devoir (travail) de mémoire, mené parallèlement au travail de connaissance doit se faire dans deux directions simultanées :

-Tout d’abord le souvenir. Il faut se souvenir que des hommes et femmes ont donné leur jeunesse et parfois leur vie pour défendre des idées de libertés et de droits fondamentaux. Il faut se souvenir que des hommes et des femmes sont morts bien malgré eux, tués dans un bombardement, raflés ou fusillés au bord de la route, par les Forces françaises et Maintien de l’ordre ou les occupants… Il faut réhabiliter auprès des jeunes générations la notion de « Mort pour la France ». Il faut se souvenir que des hommes, des femmes et des enfants ont exterminés par les nazis parce qu’ils étaient d’ethnies ou de religions « contraires » à leur idéologie insensée.

Ce souvenir, maintenu au delà de toute idéologie, religieuse ou politique, est nécessaire, voire vitale, pour une Nation. Il est nécessaire également pour notre avenir de passer par-dessus les querelles de « paroisse ». Une Nation ne peut être elle-même sans cela.

Pour assurer ce travail du souvenir nous avons (et en Haute-Savoie on n’en manque pas) une multitude plaques, de stèles ou de monuments du souvenir. Nous avons également les nombreuses cérémonies, comme celles de Morette en mars, des Glières en juin et toutes celles organisées dans chaque commune, notamment autour de la Libération.

Ensuite, ce travail de mémoire doit faire œuvre d’éducation civique. C'est-à-dire qu’il faut utiliser les valeurs de la Résistance, du C.N.R., portées par tous ceux qui ont résisté dans les camps pour « éduquer » au civisme : Définir et défendre les libertés individuelles, les droits fondamentaux de l’Homme, mais aussi les devoirs inhérents à ces droits ; mettre en œuvre tolérance, respect d’autrui et apprendre à vivre ensemble sont autant de valeurs qui forgent une Nation et que l’on trouve dans ces temps de guerre.

La nécessite de vivre ensemble est vitale pour notre Nation et le travail de mémoire peut aider grandement à forger cette mémoire collective.

Qu’on le veuille ou non, qu’on soit des « Français de France », des Français d’origine italienne, portugaise, espagnole, polonaise ou nord africaine, nous avons désormais tous la même Histoire. Que l’on habite en Corse, en Alsace ou en Savoie, sans faire abstraction des particularismes régionaux, nous avons tous l’Histoire de France en commun. C’est dans son Histoire que s’est forgé notre Nation, et en maintenir la Mémoire dans chacun de nous n’est que la continuité nécessaire à notre survie.

Toute cette problématique de la Mémoire, m’amène tout naturellement à poser la vraie question d’avenir. Quelle est, et quelle sera, la légitimité des passeurs de mémoire de première génération, dont je fais partie et des suivantes ? Il est clair que tant que des acteurs de ces temps là sont encore parmi nous, la tâche nous est plus facile. Mais on voit bien qu’au fur et à mesure que les témoins directs de la Seconde guerre mondiale, résistants et déportés notamment, disparaissent combien notre « travail » est plus difficile. Comment faire admettre une certaine légitimité ? Comment donc fermer la porte au révisionnisme latent, prêt à bondir pour modifier notre Histoire à des fins politiques, personnelles ou autres ?

En tous cas, nous les passeurs de la première génération, nous nous devons de poursuivre cette œuvre et pour paraphraser le général De Gaulle, « la Flamme de notre mémoire ne doit pas s’éteindre et ne s’éteindra pas »

COLLOQUE sur la mise en récit de l'Histoire Haute-Savoie-

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